L'informatique fait partie intégrante des rouages des entreprises. Mais au-delà de son adoption généralisée, une question persiste : comment des équipes aux spécialités très différentes s’adaptent-elles à ces nouveaux outils ? Une équipe de chercheurs dont Elise Berlinski, enseignante-chercheuse à NEOMA, s’est penchée sur cette problématique. Leur étude révèle que la collaboration entre métiers, comme les comptables et les informaticiens, n’est pas toujours fluide. En cause : des façons de penser et de travailler qui divergent profondément face aux outils numériques.
Des visions professionnelles qui s’entrechoquent
Chaque profession a ses propres règles, ses propres normes et façons de voir les choses. Lorsque des outils informatiques sont introduits, chaque profession les aborde avec sa propre grille de lecture. Cette diversité de points de vue, que les chercheurs appellent des « modèles épistémiques », engendre souvent des tensions. Par exemple, les comptables perçoivent ces technologies comme des solutions pratiques pour automatiser les tâches répétitives et améliorer la prise de décision. Les informaticiens, quant à eux, les voient comme des systèmes flexibles et évolutifs, susceptibles de répondre à des besoins futurs non encore identifiés.
« Les divergences entre professions sont inévitables lorsqu’elles s’appuient sur des visions du travail fondamentalement différentes », explique Elise Berlinski. « C’est précisément dans ces moments de confrontation que de nouvelles pratiques peuvent émerger. »
Des frictions qui poussent à innover
Ces divergences ne sont pas de simples désaccords fonctionnels. En effet, elles touchent aux fondements mêmes de l'organisation du travail. Alors que les comptables privilégient des structures hiérarchiques bien établies, les informaticiens adoptent souvent une approche plus décentralisée et collaborative. Cette opposition de style de gestion peut créer des tensions, mais elle ouvre aussi la porte à des solutions innovantes.
« Les frictions observées entre ces deux groupes sont souvent perçues comme des obstacles », notent les chercheurs de l’étude.
« Pourtant, elles permettent souvent aux équipes de sortir des sentiers battus et de repenser leurs modes de collaboration. ».
Ces tensions aboutissent souvent à des compromis qui améliorent à la fois les processus et les résultats, notamment lorsque les équipes parviennent à intégrer différentes perspectives au sein d'un même projet.
Vers une nouvelle culture de collaboration
L’étude montre que les changements qui émergent de ces frictions ne sont pas temporaires : ils marquent des transformations profondes dans la manière dont les équipes collaborent. L’informatique, bien plus qu’un simple outil de travail, joue un rôle clé dans cette évolution. Elle influence profondément les pratiques professionnelles en faisant émerger des structures organisationnelles plus décentralisées, où la flexibilité et la modularité deviennent des principes essentiels.« L’informatique est un vecteur de changement qui modifie les règles du jeu au sein des entreprises. Elle nous oblige à repenser les dynamiques de travail traditionnelles et à nous adapter à un environnement plus fluide et collaboratif », conclut Elise Berlinski. Cette nouvelle culture de collaboration invite à remettre en question les anciens modèles hiérarchiques pour adopter des systèmes plus agiles, capables de répondre aux défis futurs avec une plus grande adaptabilité.
*BERLINSKI, E., J. MORALES, "Digital technologies and accounting quantification: The emergence of two divergent knowledge templates", Critical Perspectives on Accounting, 2024, vol. 98, no. 102697 - https://doi.org/10.1016/j.cpa.2023.102697